« La philosophie des arts martiaux » par Me. Tokitsu

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Conférence à l’Université de Namur  le 14-mars-2014
 61, rue de Bruxelles, Namur, Belgique.

KTJ’écris ce texte en me basant sur la conférence que j’ai tenue à l’occasion du stage que j’ai dirigé à Namur les 15-16 Mars 2014. Selon les lignes générales de cette conférence, j’ai développé quelques idées en rapport avec ma recherche actuelle sur la méthode pratique des arts martiaux.

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N’ayant pas étudié spécifiquement la philosophie, je ne suis pas apte à aborder directement ce sujet. Je vais essentiellement parler sur la base de ma réflexion en arts martiaux à partir de laquelle je peux concevoir ce qu’est la philosophie.

L’étymologie du mot philosophie semble être « aimer la sagesse ou le savoir », tandis que les arts martiaux se forment avec les activités de combat.
Comment peut-on réunir ces deux domaines ?

Lorsque j’ai commencé à étudier la langue française, j’ai appris qu’elle a été formée avec une clarté logique. Mon premier professeur de français nous précisait  que : « en bon français » signifiait « exprimé en termes clairs et précis. »…
On ne peut expliciter que ce que l’on connait. Cela doit être fait par une logique  claire.
Depuis mon arrivée en France, au fur et à mesure de mon apprentissage de la langue française,  j’ai dû comprendre le poids de la clarté de cette langue face aux arts martiaux qui me sont familiers.
Mais « philosopher » nécessite d’étaler la pensée conformément au système de la langue. Or, la langue française m’oblige à préciser la pensée avant de m’exprimer. Plus le temps passe, plus je me rends compte à quel point je suis décalé de cette langue. Je vais essayer d’être clair.

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En art martial Japonais, on m’a inculqué l’enseignement de ne pas penser durant le combat. Celui-ci était alors « il ne faut pas établir de mot » : Furyû-monji 不立文字. Il fallait donc se placer dans un état d’esprit où les mots n’apparaissent pas, où la pensée logique disparait, l’esprit vide. Pour comprendre l’essentiel de l’art martial, il fallait éviter d’entrer dans le système des mots, car l’essentiel se trouve en dehors de ce système… Qu’est cet essentiel ?
Un des enseignements classiques pour des guerriers Japonais était : « la vie se trouve dans la mort. Si tu veux vivre dans le champs de bataille, ne pense pas à survivre, c’est alors que tu auras  une chance de survivre ».

Le titre de conférence qui m’a été proposé étant « la philosophie des arts martiaux » comporte en soi une contradiction dans la mesure où je dois parler des arts martiaux Japonais dont l’enseignement refuse les mots. Je suis alors tenu de faire face d’emblée à ce paradoxe.

*
La voie des guerriers est formée par l’art de la stratégie. Miyamoto Musashi, maître de sabre du 17ème siècle disait : « la voie des guerriers est pragmatique ». Elle se base sur un résultat concret, issu d’une réflexion particulière. Particulière, parce qu’elle  résulte de la réflexion basée sur la non pensée, du vide de l’esprit…  Peut-on réfléchir en état de non pensée, du vide de l’esprit ? Faut-il plutôt dire en état de méditation ?
La méditation pourrait-elle être la réflexion ?
Le mot est pratique mais peu commode pour expliciter un certain état mental recherché en art martial.

Au lieu d’examiner le sens des mots, je propose d’avancer dans ma réflexion en ouvrant  trois portes.
La première s’ouvre sur la réflexion du rapport de l’action face à la mort.
La seconde,  sur celle du concept du niveau en arts martiaux.
La troisième, sur la réflexion psychologique et enfin, peut-être, philosophique.

Je prends, pour la première, l’extrait de mon ouvrage « Méthode des arts martiaux » Ed. Robert Laffont, Paris 1987. Je présente un passage du livre « Zen et arts martiaux » de T. Deshimaru.

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« Un moine se rendait en ville, porteur d’un pli important à remettre en mains propres à son destinataire. Il arriva aux abords de la ville et, pour y pénétrer, dut traverser un pont. Sur le pont se tenait un samouraï expert dans l’art du sabre et qui, pour prouver sa force et son invincibilité, avait fait le vœu de provoquer en duel les cent premiers hommes qui traverseraient ce pont. Il en avait déjà tué quatre-vingt-dix-neuf. Le petite moine était le centième. Le samouraï lui lança son défi. Le moine le supplia de le laisser passer, car le pli qu’il portait était d’une grande importance.
« Je vous promets de revenir me battre avec vous une fois ma mission accomplie. »
Le samouraï accepta, et le jeune moine alla porter sa lettre. Avant de retourner sur le pont, il se rendit chez son maître pour lui faire ses adieux, certain qu’il était perdu.
« Je dois aller me battre avec un grand samouraï », lui dit-il, « c’est un champion de sabre et moi je n’ai jamais touché une arme de ma vie. Je vais être tué….. »

« En effet », lui répondit son maître, « tu va mourir car il n’y pour toi aucune chance de victoire, tu n’as donc plus besoin d’avoir peur de la mort. Mais je vais t’enseigner la meilleur façon de mourir : tu brandirais ton sabre au-dessus de la tête, les yeux fermés, et tu attendras. Lorsque tu sentiras un froid sur le sommet de ton crâne,ce sera la mort. A ce moment seulement tu abattras les bras. »

Le petite moine salua son maître et se dirigea vers le pont où l’attendait le samouraï. Ce dernier le remercia d’avoir tenu parole et le pria de se mettre en garde. Le duel commença. Le moine fit ce que son maître lui avait recommandé. Tenant son sabre a deux mains, il le leva au-dessus de la tête, et attendit sans bouger. Cette attitude surprit le samouraï, car la posture qu’avait prise son adversaire ne reflétait ni la peur ni la crainte. Méfiant, il avança prudemment. Impassible, le petite moine était concentré uniquement sur le sommet de son crâne.
Le samouraï se dit :
« Cet homme est sûrement très fort, il a eu le courage de revenir se battre avec moi, ce n’est certainement pas un amateur. »

Le moine toujours absorbé, ne prêtait aucune attention aux mouvements de va-et-vient de son adversaire. Ce dernier commença à avoir peur :
« C’est sans doute un très grand guerrier », pensa-t-il, « seuls les maîtres de sabre prennent dés le début d’un combat une position d’attaque. Et en plus il ferme les yeux. »

Et le jeune moine attendait toujours le moment où il sentirait ce fameux froid au sommet de la tête. Pendant ce temps, le samouraï était complètement désemparé, il n’osait plus attaquer, certain d’être coupé en deux au moindre geste de sa part. De sont côté, le moine avait complètement oublié le samouraï, attentif seulement à bien appliquer les conseil de son maître, à mourir dignement. Ce furent les cris et les pleurs du samouraï qui qui le ramenèrent à la réalité.
« Ne me tuez pas, ayez pitié de moi, je croyais être le roi du sabre, mais je n’avais jamais rencontré un Maître tel que vous. S’il vous plaît, s’il vous plaît, acceptez-moi comme disciple, enseignez-moi la Voie du sabre…. »

Ce conte est repris de Hitoyo hiden (l’Enseignement en une nuit d’un secret de l’art du sabre) de Shûsaka Chiba, éminent Maître de sabre du 19e siècle. L’histoire, telle qu’elle est racontée par T. Deshimaru, diffère de l’origine en particulier sur deux points. Selon la première version, celle de Shûsaku Chiba, c’est lui-même qui reçoit la visite du jeune moine, et le conseille. La description du combat est, elle aussi, différente. Le samouraï ne crie ni ne pleure, il abandonne le combat en disant :
« Vous êtes un adepte de haut niveau »,  ce qui sous-entend : « Je ne peux vous vaincre sans risquer ma vie. »

Cette version me semble plus proche de la réalité du combat. De plus, on rapporte que Shusaka Chiba, en écoutant le récit que ses disciples lui firent de ce combat, dit : « Le secret ultime du sabre est la rencontre de la mort des deux combattants. Ce moine n’avait aucune idée de survie, c’est pourquoi il a pu atteindre en un instant l’état mental le plus élevé qu’un adepte de sabre puisse rechercher pendant toute sa vie. »

Que ressentent les lecteurs à partir de ce conte ? Que peuvent-ils en apprendre ?
J’ai tenu à reproduire intégralement le récit , car il contient un enseignement important pour l’adepte du Budô, en même temps qu’il présente un piège. Trop souvent, les adeptes européens du zen l’interprètent avec légèreté pour affirmer la suprématie de l’état mental sur l’état physique. Pour en bien comprendre le sens, il convient de s’interroger sur l’articulation entre technique et état mental que ce récit présuppose.
D’abord, il faut comprendre que Maître Chiba n’a pas donné un enseignement destiné à vaincre l’adversaire, mais indiqué la façon la plus digne de mourir, ce moine étant déjà déterminé à mourir. Et ce moine, lors du combat, était déjà en train de vivre sa mort, c’est pour cela qu’il a pu vivre. Cette situation appartient-elle à la légende, ou bien peut-elle être réelle ?

Lors d’un tel combat, trois cas peuvent se présenter.
Le premier correspond au récit. Le samouraï a abandonné le combat, car il était d’un niveau suffisamment haut pour être sensible à l’état d’esprit de son adversaire. Il a constaté une détermination à mourir chez son adversaire, et cet obstacle était celui qu’il ne pouvait pas dominer à son niveau d’avancement dans le Budô, où la capacité technique est liée à l’état d’esprit. Il n’avait pas atteint un détachement de la vie égal à celui du moine, mais était suffisamment perspicace pour le comprendre.
La deuxième possibilité est celle de la rencontre avec un samouraï de niveau médiocre. Celui-ci ne serait pas capable de percevoir cette détermination, il verrait seulement la posture, la forme du corps.
Ayant devant lui un jeune moine en posture de combat, les yeux fermés, il chercherait vraisemblablement à faire diversion, par des feintes : cris ou petites attaques qui auraient pour effet de dévoiler le niveau technique de son adversaire, lequel aurait toutes chances de périr avec dignité en recevant de nombreuses blessures. En effet, un samouraï médiocre n’est pas capable de tuer son adversaire d’un seul coup de sabre.
La troisième possibilité est celle de la rencontre avec un samouraï de niveau ultime, mais elle ne cadre pas avec le début du récit. Le moine devrait mourir dignement, coupé en deux d’un seul coup.
L’adepte du sabre de niveau ultime est, en effet, capable de mourir, c’est-à-dire de hausser sa détermination à mourir au niveau celle du moine et, par conséquent, de le tuer. Il découvrirait donc alors facilement que la détermination de son adversaire n’est pas soutenue par la technique.
L’enseignement à tirer de ce récit n’est pas d’affirmer sans plus la supériorité de l’esprit, mais de réfléchir à la complexité du Budô et à la place que tient la mort dans cette recherche. Le paradoxe du Budô est que, pour bien vivre, il faut mourir. Toutes les philosophies du Budô convergent vers cette idée. Les techniques en sont à la fois l’expression et le moyen d’y parvenir.

Le combat étant un phénomène complexe, il serait erroné de l’interpréter sans tenir  compte du niveau en art martial comme je l’ai fait dans mon analyse.

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Alors, quel est l’élément déterminant du niveau en arts martiaux ?
Je fais notamment référence à une scène du film: « Les sept samouraï » que vous avez  peut-être déjà vu.
Premier exemple
Pour défendre un village de paysans, le vieux maître voulait engager des samouraï capables de bien combattre.  Il fallait les trouver.
Il donne cette instruction à son plus jeune disciple: « Prends ce bâton et brandis-le au dessus de ta tête en attendant que quelqu’un entre par la porte. Dès qu’une personne l’aura franchie, tu frappes sur sa tête de haut en bas et sans retenue. »
Le premier samouraï entre:
Le jeune homme fait comme son maître le lui a indiqué.
Le samouraï franchissant la porte reçoit le coup de bâton en plein sur sa tête. Il a échoué à l’examen.
Le second samouraï entre:
Lorsque le jeune homme le surprend, le samouraï pare l’attaque du bâton avec la main et projette son agresseur au sol. Il est prêt à frapper le jeune homme. Le maître, en s’excusant, explique la raison de ce guet-apens. Le samouraï refuse de s’engager.
Le troisième samouraï:
Étant invité à entrer dans la maison, celui-ci s’approche de la porte d’entrée. Mais juste avant de franchir le seuil, il s’arrête, car il ressent une volonté d’attaque derrière  la porte.
Il crie en riant:
« Veuillez arrêter cette mauvaise blague ! »
En assistant à cette scène, le vieux maître frappe ses mains avec une joie mêlée de satisfaction et dit . « C’est un vrai adepte! »
De nouveau, le maître, en s’excusant,  explique la raison de ce test. Mais cette fois, le samouraï s’engage…
Aux yeux du maître, le second était un samouraï moyen et le troisième, un excellent adepte de sabre. L’élément déterminant en art du sabre consiste à posséder une certaine forme de perception interpersonnelle spatiale. Il faut être capable de ressentir un acte d’attaque avant que celui-ci se déclenche. Il ne s’agit pas d’être très attentif et capable d’établir une réflexion déductive en toute logique comme peut le faire Sherlock Holmes. La capacité de ressentir la volonté d’attaque est basée sur la non pensée, l’esprit vide. L’état d’esprit est totalement différent. Je pense que dans ces deux cas, le cerveau fonctionne différemment.
Le cinéaste Akira Kurosawa semble avoir repris cette histoire à partir de la légende de Tsukahara Bokuden, maître de sabre (1489-1571).

Second exemple
Itô Ittôsaï, maître de sabre du 16ème siècle et  fondateur de l’école de sabre Ittô-ryû, ayant persévéré dans sa recherche de la voie du sabre, ressentait son insuffisance car il était insatisfait de son niveau.
Il décida de faire un acte de vœux au sanctuaire devant le dieu du sabre. Cela consistait à prier le dieu martial durant sept jours et sept nuits. A la fin de la septième nuit, il n’avait toujours pas reçu l’enseignement divin.  Résigné,  s’apprêtant à se lever pour quitter l’autel, il ressentit alors une volonté d’attaque dans le dos. Sans rien penser, sans se retourner, il dégaina spontanément son sabre en pourfendant l’arrière. Puis, se retournant cette fois, il vit alors son ennemi gisant mort.
En se remémorant plus tard cet événement, Ittôsaï comprit que c’était l’enseignement divin qu’il avait reçu cette nuit là.
Il nomma sabre dans le rêve cet état d’esprit qui rendra infaillible son art  qui situa l’ultime niveau de son école.

Troisième exemple
Yagiyu Munenori (1571-1646), maître de sabre du Shôgun, se promenait dans le jardin de sa demeure. De temps à autre, il s’adressait de bonne humeur  à son page qui l’escortait à l’arrière en portant son sabre.
Tout à coup, le maître s’arrêta et visionna du regard le tour du jardin. Puis, sans un mot, il se retourna et entra dans la maison. Assis dans une pièce, le changement de son humeur fut visible.
Le jeune page demanda à son maître.
« Maître, quelque chose ne va pas ? Je vois que votre humeur a changé. J’espère que vous n’êtes pas malade. Si je peux faire quelque chose, que mon maître me le dise. Si j’ai commis une erreur, veuillez me le dire afin que je puisse me corriger. »
« Je ne suis pas malade, répondit le maître. Tu n’as commis aucune erreur. Simplement, je suis mécontent de moi-même. Car je persévère dans la voie du sabre depuis de longues années. Je suis parvenu à capter la moindre volonté d’attaque face à l’adversaire. Tout à l’heure dans le jardin, je crois l’avoir ressentie. Pourtant, j’ai vérifié en explorant tout le jardin, mais il n’y avait personne d’autre que toi. J’ai dû comprendre que mon niveau est encore insuffisant. C’est cela qui me tracasse… »
Sur ce, le page s’abaissa humblement en posant la tête au sol:
« Que mon maître me pardonne ! Tout à l’heure, dans le jardin, je dois vous avouer qu’une pensée a effleuré mon esprit. Bien que mon maître soit le plus grand adepte de sabre, j’ai pensé que si je l’attaquais maintenant par derrière, que pourrait-il se passer ? »
En écoutant cet aveu, le visage de Yagiyu Munenori s’éclaircit enfin et il dit:
« Je te remercie d’être honnête avec moi. Tu confirmes la justesse de ma perception, ce qui est le plus important pour moi. »

-4-
Chaque histoire que nous venons de relater pourrait être lourde de sens pour ceux qui s’adonnent un tant soit peu aux arts martiaux. Mais sous un angle différent, chaque histoire ne représente-t-elle pas pour nos contemporains un cas particulier qu’on pourrait qualifier d’hypersensibilité ? Une telle sensibilité ne rendrait pas la vie agréable, ni facile de nos jours, pour nous qui vivons dans une société moderne.
Imaginons que vous êtes dans un bus ou dans le métro bondé de monde où chacun se pousse pour trouver sa place. Ou bien vous marchez sur un trottoir où quelqu’un vous bouscule par le côté ou par l’arrière parce-qu’il est tout simplement pressé. Dans ces situations, comment agiriez-vous ?  Répondriez-vous par un geste brutal  à ce contact inattendu ?
Supposons que quelqu’un veuille vous faire du mal ou désire vous nuire. Avant que celui-ci entre en action pour réaliser sa volonté malveillante, et que vous ayez la capacité de réagir aussitôt et proportionnellement au degré de la malveillance que vous avez ressentie, que se passerait-il ? Sur le plan de la sensation, votre réaction pourrait se justifier, cependant que sur le plan juridique, votre acte serait qualifié d’illicite puisque vous auriez agi avec agressivité contre une agression qui n’a pas encore été exprimée.
Cette hypersensibilité ne rendrait non seulement pas la vie agréable, mais pourrait encore vous conduire dans des situations problématiques. Cependant, le niveau ultime de technique en arts martiaux prône cette sensibilité ou cette acuité sensorielle que nous qualifierons d’hypersensibilité et qui pourrait bien s’avoisiner à une maladie psychique de nos jours.
Nous rencontrons là une contradiction à différents niveaux.
Si le raffinement technique ou l’ascension du niveau en art martial  implique l’acquisition et l’aiguisement de l’hypersensibilité qui risque de perturber notre vie sociale, nous ne pouvons pas préconiser une telle pratique.

Avant de conclure ce paragraphe, rappelons l’exemple que j’ai présenté tout au début : celui du jeune moine zen qui affronte un samouraï tueur. Nous avons vu que l’état d’esprit est important, voire essentiel, cependant qu’il ne détermine pas toutes les situations. En art martial, l’état d’esprit est important à condition qu’il soit soutenu par un corps technique entraîné.
J’impose ma volonté à avancer ma pensée personnelle au détriment du risque d’entrer dans un domaine scientifique dans lequel je suis peu versé.
Je pense en effet que si l’on qualifie une personne d’hypersensible, cela semble impliquer un certain déséquilibre, notamment par rapport à son état physique. Son corps semble ne pas être en mesure de canaliser un degré de sensibilité trop élevé. Je pense que le corps et la sensibilité ont l’un pour l’autre un rôle  catalyseur.
Si la technique des arts martiaux peut se réaliser par la sensibilité véhiculée dans un corps entraîné, à fortiori, l’hypersensibilité doit pouvoir produire une excellente technique dans un corps encore mieux entraîné.
En lisant des documents accessibles aujourd’hui, les maîtres de sabre que j’ai présentés plus haut semblent avoir été tous des hommes équilibrés possédant des capacités exceptionnelles en art du sabre. De plus, leur capacité martiale ne semble pas diminuer avec l’âge. Ils nous font tous penser qu’ils ont progressé jusqu’à leur mort. Dans quelle mesure cela est-il possible ?
Genyû Sôkyû,  moine zen contemporain, né en 1956, dit :
« Au travers des exercices en zen, l’état corporel change et on rajeunit. Je pense que c’est parce que de nombreuses capacités endormies en nous se réveillent pour s’épanouir… » (« Zen et cerveau », Ed. Daïwa shobô, Tokyo 2005).
L’exercice méditatif influe-t-il alors positivement sur l’état du corps ?

-5-
En parlant ainsi, je ne peux m’empêcher de penser à quelques prédécesseurs exceptionnels que j’ai connus dans la voie de karaté. J’ai connu sept personnes dont quatre que j’ai intimement côtoyées.  Aujourd’hui, il n’y a plus que deux personnes vivantes dans un état de santé lamentable. Tous, sans exception, semblent avoir commencé à décliner, tant sur le plan de leur santé que celui de leur niveau en karaté,  autour de l’âge de 45 ans. La réflexion sur certaines légendes, l’observation sur la pratique de mes prédécesseurs et l’examen de ma propre pratique m’ont amené à concevoir un concept des secondes capacités personnelles (capacité corporelle et sensibilité propre à un individu) formées par la pratique de la méthode par opposition aux premières capacités personnelles.
Voici mon constat.
Je rappelle que mes prédécesseurs qui étaient tous excellents avec leurs premières capacités personnelles commençaient à décliner autour de l’âge de 45 ans. Ils ont pu continuer à pratiquer après cet âge grâce à l’habileté acquise au fil des années. Mais j’ai dû constater qu’ils n’étaient plus aussi brillants qu’auparavant. Je développerai ce thème par ailleurs.
Pour l’instant, je me limiterai à dire ceci.
Contrairement à la pratique sportive contemporaine des arts martiaux qui s’effectue d’une manière physique rationnelle, la pratique d’antan semblait comporter un aspect quelque peu méditatif en son exercice. Celui-ci fut plus souvent  mis en œuvre sous forme de rituels ou d’exercices formalisés en respiration ou énergétiques qui furent  progressivement écartés jusqu’à leur quasi disparition au cours de la modernisation des arts martiaux venant ainsi se confondre avec le sport moderne.
En effet, pour une grande majorité de personnes, il faut être jeune pour exceller en sport de combat. L’âge de 45 ans se dresse comme une muraille.  Est-il possible de dépasser cet obstacle? Ma réponse est oui, puisque nous possédons des exemples. Dans ce cas précis, comment nous approcher de ces exemples ? Comment concevoir le chemin de réalisation? C’est une question qui me tient à cœur et que je poursuis dans ma réflexion sur la méthode.
Pour moi, la philosophie ne doit pas être une réflexion faite sur l’abstrait. Surtout la philosophie des arts martiaux qui doit déboucher sur un chemin concret pour une meilleure pratique. C’est ainsi que je conçois la méthode pour former les secondes capacités personnelles. Je pense que pour les arts martiaux, le discours sur la méthode relève du domaine de la philosophie en même temps qu’elle en est son guide pratique.

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